Pendant au moins trois siècles, les cannes ont été un élément essentiel de la garde-robe masculine, au même titre qu'un pantalon aujourd'hui. En effet, les hommes possédaient généralement plusieurs cannes, utilisées à différentes occasions : au bureau, en soirée et le week-end.

On les portait, non pas pour marcher, mais comme ornement et signe de richesse et de statut social. Les cannes sont issues de la psyché masculine, qui associe le port d'un bâton au pouvoir. Les rois portaient des sceptres, le Bâton Noir un bâton, Merlin une baguette et Moïse utilisait un bâton pour fendre les flots. Au XVIIe siècle, à peine avaient-ils déposé leurs épées que les hommes commencèrent à porter des cannes.

Ils continuèrent ainsi jusque dans les années 1940, époque à laquelle, malheureusement, ils semblèrent abandonner leurs cannes. Mais jusque-là, des cannes spectaculaires et insolites étaient produites, qui coûtent aujourd'hui entre 500 et 5 000 £. On pouvait les classer en plusieurs catégories : par exemple, les cannes de défense contenant des épées ou des lames dissimulées ; les cannes automates dont la tête bougeait par simple pression d'un bouton secret ; les cannes marines, fabriquées par les marins, souvent en fanons de baleine ; et les cannes d'art populaire, sculptées et utilisées par les bergers et les agriculteurs.

Lorsque les cannes apparurent pour la première fois, vers 1650, la plus courante était la canne de malacca à manche en ivoire, dont le bois provenait du détroit de Malacca, en Malaisie. Ce bois fut rapporté en Grande-Bretagne comme un objet exotique, un peu comme acheter un objet lunaire. Les premières cannes étaient munies de longues viroles en laiton pour protéger le bois de la boue, tandis que les manches étaient en ivoire avec des piqués d'argent. Elles coûtent aujourd'hui quelques milliers de dollars.

Vers 1700, les hommes et leurs cannes étaient de plus en plus élégants. Le bois était le même, mais les poignées étaient souvent dorées et ornées de glands. Les hommes posaient avec, plutôt que de les balancer. On retrouve de telles cannes dans les portraits de Gainsborough. Puis vinrent l'époque victorienne et la révolution industrielle, où la classe moyenne nouvellement riche affichait sa richesse à travers une vaste collection de cannes richement décorées.

Des fabriques de cannes s'ouvrirent dans toute l'Europe : à Londres, Paris et Vienne. Les poignées, quant à elles, devinrent de plus en plus originales. Nombre d'entre elles arboraient des têtes d'animaux, notamment des souris, des aigles et diverses races de chiens. Des matériaux de plus en plus exotiques furent utilisés comme décoration, comme le jade ou l'ambre, et ce jusqu'à la période Art déco, qui donna naissance à certaines des cannes les plus spectaculaires de tous les temps.

Un gentleman possédait plusieurs cannes : une canne rustique, en bois robuste comme le frêne, pour promener les chiens, et une canne plus sobre pour le bureau. Pour aller dîner ou à l'opéra, il portait une canne plus légère, avec un manche en bois exotique, par exemple en palissandre, et un magnifique pommeau en écaille de tortue, par exemple.

Qui que vous soyez, il existait une canne pour vous. Si vous étiez duc, certaines reflétaient votre statut par la richesse de leur bois. Les paysans sculptaient leurs propres cannes et les illustraient d'activités champêtres, comme le tir, la pêche et la chasse. Les marins utilisaient des fanons de baleine et des dents de baleine pour les poignées. L'ébène et l'ivoire, transportés des colonies en Grande-Bretagne, se retrouvaient également sur des cannes. Certaines de ces cannes avaient des fonctions supplémentaires. Par exemple, les cannes de défense pouvaient se transformer en épée ou en masse d'armes d'un simple clic. Il existait aussi des cannes qui pouvaient se transformer en parapluie ou servir à divertir. Par exemple, les cannes automates en forme de tête de canard ou de bouledogue, astucieusement conçues pour que la bouche puisse s'ouvrir et contenir des gants lorsque leur propriétaire était à l'opéra.

C'est vraiment dommage qu'on ne voie plus de cannes dans la rue !